photo G.massé Extrait : L’ultime Tabou Pages 27/28

...J’ai pensé, ce n’est pas ma fille, ce cadavre exposé appartient à une autre famille. A ce moment précis, j’ai déplacé le malheur. Je n’en avais rien à faire d’anéantir la vie d’inconnus. Je voulais que cette enveloppe corporelle appartienne à un enfant d’ailleurs. C’est terrible, ce cynisme lapidaire mais voilà exactement ce qui m’a traversé l’esprit dans la chambre froide. Je ne pouvais ni reconnaître la boucle d’oreille ni la tâche particulière, véritable marque de fabrique, auréolant son cou. Je possède exactement la même. Je me disais la sienne est à gauche, plus fine, moins marquée. J’étais incapable d’inspecter l’endroit sur ma peau, préférant lui laisser une chance.

Paniquée, j’ai débité des phrases incohérentes, en détachant les syllabes.

- Il y a d’autres disparitions d’enfants... Vérifiez vos listes. Betty respire. Elle saute à la corde. Elle s’est perdue. Elle ne retrouve pas le chemin.

Le gendarme m’a pris par les épaules doucement. Il pleurait. J’avais les yeux boursouflés.

- Je vous jure Madame Alvy que nous coffrerons ce psychopathe. Je n’ai jamais vu cela en trente années de carrière. Je ne le lâcherai pas.

Le transfert du professeur à la prison de la ville voisine doit s’effectuer sans plus attendre. Le bouche à oreille a fonctionné à merveille et je ne suis pas seule mais entourée de visages vaguement familiers dont j’ai oublié les noms.

Nous formons une foule compacte. Le froid qui m’enveloppe est glacial. Les mains qui se tendent, les petits signes de solidarité n’arrivent aucunement à me réchauffer.

Que font-ils là tous ces gens ? ... En quoi se sentent-ils concernés ? .... Ce n’est pas leur enfant. Ils ne sont ni mes amis ni mes proches. Ils s’identifient à ce drame sachant que personne n’est à l’abri de la folie, mais ils ne pensent qu’à eux ... Ils vivent par procuration mais que connaissent-ils réellement de mon anéantissement.

Qui pourrait réveiller ma fille ?

Lui enlever la terre de la bouche ?

Coller ses dents cassées ?

Recoudre son hymen ?

Rapiécer les lambeaux de chair brûlés ?

Qui pourrait me la rendre comme avant ?

En librairie : le 5 janvier 2006

critiques :

Pour

- Marc Alpozzo

-ArtsLivres

Contre

- Le Transhumain

Le tabou ultime Franca Maï Cherche-Midi Editeur 13€ Publié le 6 janvier 2006 par torpedo