Le blog de Franca

Franca Maï la singuière | Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

lundi 31 janvier 2005

Clara Vincent: Poète mystique

Clara Vincent gravement malade passe la frontière doucement mais sûrement, pour rejoindre les anges. Je vous livre ici un de ses poèmes

Nous avons l'intention

D'un monde d'Amour

Où soleils et brumes

viendraient s'harmoniser

Quand ma bande à moi

Se ferait inviter

Par ceux-là de là haut

Conscients de "comme un décalage"

J'ai comme l'espoir insensé

Que le Nord aimant le Sud

On conviendrait d'un accord majeur

En dehors des conneries

De nos géniteurs guerriers

J'ai comme une confiance immense

Que les rouages biaisés de leurs pensées vieilles

Seront balayés d'un coup d'intelligence

Accordée à notre coeur

Extraits de : "CHINOIS DE TES CHEVEUX"

et vous invite à découvrir son site et son oeuvre.

Enfant de la dass, ayant toujours lutté dans son corps, la faucheuse ne lui épargne aucun répit. Des pensées magiques pour Clara.

jeudi 27 janvier 2005

Hubert Selby Junior: Les tours de manège du souffle de la mort

Et puis un jour, vous avez rendez-vous avec le Démon.

Au bout de quelques chapitres, vous prenez conscience de ne plus pouvoir regarder le monde avec des yeux éteints. L'autel du désespoir et des ténèbres vous épingle implacablement. La mort flirte avec vos os. Elle s'installe dans le froid glacial d'une chimérique humanité. Vous plongez dans l'urgence.

Hubert Selby Junior, l'auteur américain de ce roman maudit est un homme qui a échappé quatre fois à la faucheuse.

Né en 1928 - un an avant l'effondrement de la bourse et la Dépression prévisible résultante- il s'éteint le 26 Avril 2004 à Los Angeles, dans une modeste maison du quartier de Highland Park, bourrée de livres et de musique, répudiant convulsivement l'écran de neige pour ne pas perturber ses songes.

Dans un quasi-anonymat.

L'une des plus grandes voix de la littérature Yankee de ce siècle, l'auteur majeur surnommé « le Céline américain » idole de la culture Rock, crève seul, abandonné, oublié par ses éditeurs et compatriotes.

Dès sa naissance à Brooklyn, il est étranglé par le cordon ombilical de sa mère. Pendant 36 longues heures, il lutte. Les médecins diagnostiquent une cyanose et des dommages cérébraux provoqués par le manque d'oxygène dans le cerveau.

A peine débarqué sur terre, Selby étouffe déjà.

Bazardant ses études, il s'engage dans les Marines à l'âge de quinze ans et bourlingue au travers le monde, suivant fidèlement les traces d'un père alcoolique mais vénéré. A dix-huit ans, il contracte une tuberculose. Ce jeune homme athlétique se transforme alors en vieillard en sursis. Quatre années, cloué à un lit d'hôpital, font fondre ses quatre-vingt cinq kilos et son mètre quatre-vingt, pour laisser place à un spectre au corps dépossédé d'un poumon et de dix côtes. Souffle coupé.

Rendu à moitié sourd et aveugle par les débuts hasardeux de la streptomycine, Selby appréhende le monde, en apnée versatile.

Soutenu par son ami, Gilbert Sorrentino, qui le guide dans le chemin initiatique qu'est la lecture, il découvre Dostoïevski, Chandler, Hammett, Conrad, Shakespeare etc...

Dérivant dans les eaux troubles de l'alcool, la drogue et la dépression, à 28 ans il est condamné à mourir définitivement, mais lors de cette expérience qu'il qualifie d'ultime, il s'achète une machine à écrire. Il connaît les lettres de l'alphabet. Il sera écrivain.

Il commence l'écriture -en 1959- de son premier roman « Last exit to Brooklyn » qu'il mettra six années à accoucher. Un recueil de six histoires noires et sans espoir. La lente autodestruction de personnages plongés dans un univers terrorisant.

2 millions d'exemplaires vendus. Ce roman-culte fouette l'Amérique puritaine, en pleine face, la laissant sonnée sur le macadam. Sans respiration.

« Last exit to Brooklyn » fait l'objet d'un procès pour obscénité en Angleterre et se retrouve banni en Italie.

L'Amérique aseptisée a la dent vengeresse et la main longue.

Les trois autres romans qui suivront « La Geôle »(1972) « Le démon » (1976) et « Retour à Brooklyn -Requiem for a dream (1978) » seront des échecs. La presse américaine, en bonne fille obéissante, ira jusqu'à utiliser le terme « sordidisme » pour illustrer l'oeuvre de Selby.

Mettant en scène un personnage récurrent, Harry, Selby souligne avec obsession - au rythme d'un phrasé épileptique cerclé de poésie hallucinée- l'hypocrisie d'une société qui mène une guerre contre la drogue en abrutissant son peuple de drogues légales et médicamenteuses.

Tous ses romans témoignent de sa vision quasi mystique du Mal, tout en injuriant copieusement un Dieu conflictuel. La faillite d'un monde déshumanisé.

Selby ose désacraliser le rêve Américain. Il le paie chèrement. Il est marginalisé.

Rayé dès lors, des maisons d'édition, il sombre dans la misère pendant plus de quinze ans, ne devant son salut qu'à sa maigre pension militaire d'invalidité.

En 1999, le succès de son conte de Noël destroy « Le saule » en Angleterre et en France et l'adaptation cinématographique de « Retour à Brooklyn » Requiem for a dream de Darren Aronofsky , offrent une nouvelle respiration à Selby.

Il a été marié trois fois et a eu quatre enfants.

Il s'est enfui du monde un matin gris peau de souris, toujours en quête de l'air qui lui manquait cruellement. Il transbahutait une machine à oxygène pour se déplacer, jusqu'à ses derniers râles.

Hubert Selby Jr, laissait toujours une phrase inachevée pour la reprendre le lendemain. Il nous a offert de terminer la dernière, en pure bouffée d'air. Ne le décevons pas.

Violette Leduc: La laide inspirée

C'est dans un grenier - à l'âge de 13 ans, en farfouillant dans des piles de livres laissés à l'abandon et à la curiosité du destin- que vous découvrez Thérèse et Isabelle un roman de Violette Leduc.

Soudain, les champs épousant la platitude et l'ennui, s'habillent de mille lucioles crachant une flamme essentielle: l'émoi.

Vous comprenez alors que le désir n'a ni sexe, ni morale. Il est furieux. Il vit au-delà de l'entendement. Serti de frénésie aux flagrances de scandale et aux battements d'un coeur rendu fou.

La barrière éventrée de la Passion s'épingle dans chaque parcelle de votre chair. Vous volez dans les sphères de l'interdit.

Vous apprenez, quelques syncopes plus tard, en découvrant toute l'oeuvre de Violette Leduc que le roman Ravages -première version de Thérèse et Isabelle- fut censuré par la respectable maison Gallimard par crainte de poursuites pénales et vécu par l'auteure comme un « assassinat littéraire ».

Ce roman amputé, racontait les amours sulfureuses de deux collégiennes dans un pensionnat de Province. Il abordait le thème de l'homosexualité. Violette Leduc osait braver les années cinquante.

Incomprise de ses contemporains, elle fut néanmoins défendue avec élégance par Beauvoir et Genet qui la reconnut comme « sa soeur en littérature ».

Beauvoir, la cérébrale de glace et Violette Leduc l'intuitive de feu -curieuse complicité que ces deux écrivaines- en état de grâce et de partage.

Née en 1907, Violette Leduc s'échappa de l'écorce terrestre en 1972.

Témoin et actrice de l'évolution de la condition féminine sans toutefois s'impliquer dans la lutte des femmes, elle ouvrit néanmoins par son oeuvre dense -d'une authentique sincérité- la voie royale à une nouvelle écriture. Elle osa passer derrière le miroir avec rage et fourmillement.

L'évolution des mentalités venait de planter ses racines, implacablement.

Très laide et dotée d'un caractère réputé impulsif par ses sautes d'humeur, cette femme d'une sensibilité exacerbée, connue la souffrance d'être née bâtarde.

Sa mère fille-mère et domestique d'une famille aisée fut renvoyée sur le champ lorsque cette dernière prit connaissance de la maternité illégitime.

Deux hommes marquèrent Violette Leduc dans sa vie d'adulte, Maurice Sachs et Jacques Guérin, représentant les doubles du père inconnu.

Les Editions Gallimard ont publié en l'an 2000, dans sa version intégrale, le roman Thérèse et Isabelle.

Violette Leduc sous terre, depuis déjà 28 ans et bouffée par les lombrics, n'a donc pas connu l'émotion de toucher son recueil abouti, vivante.

Mais lorsque je lui ai glissé le livre dans sa tombe. Elle a souri. Puisque je vous le confie !....

lundi 24 janvier 2005

Ingeborg Bachmann: La femme de Feu

C'est au cours d'une flânerie entre les rayons touffus d'une librairie qu'un jour, vos doigts fiévreux s'arrêtent sur un petit livre: « Berlin, un lieu de hasards » et que les mots d'une poétesse majeure, s'imprègnent à jamais dans votre occiput, sans penser à fuguer.

Vous découvrez après lecture, la femme. Vous apprenez qu'elle est morte, brûlée vive, dans sa chambre d'hôtel à Rome le 17 juillet 1973. Du même feu qui la consumait intérieurement, lui faisant cracher ses entrailles, avec une pudeur facétieuse et déroutante.

Autrichienne, née en 1926, fille de Mathias Bachmann -appartenant au noyau dur des nazis de Carinthie- elle n'aura de cesse de défricher des chemins « pour libérer les Hommes des mots salis par les tortionnaires ».

Elle commence sa carrière en gravitant autour du Groupe 47.

Elle n'arrêtera jamais de dénoncer, au travers ses oeuvres, l'empreinte et l'influence néfastes de la société capitaliste, impérialiste et patriarcale.

Amante malheureuse de Paul Celan et de Max Frisch, elle a traduit poétiquement et philosophiquement, le mirage de vivre en couple.

Réputée mystérieuse, également par ses contemporains, il émanait de sa personne, un souffle incompréhensible, étrange où l'acuité et l'émotivité du regard qu'elle portait sur le monde, étaient accoucheuses de questionnement inachevé.

Il faut lire Ingeborg Bachmann. Pour ne plus se sentir orphelins en ces temps d'intolérance, à répétition programmée.

mardi 11 janvier 2005

Gabrielle Wittkop: La divine vénéneuse

Comme Gabrielle Wittkop revendiquait de vivre en « homme libre », elle a choisi sa mort en se suicidant à 82 ans.

Née en 1920 à Nantes, cette auteure étrange, a agenouillé la faucheuse le 22 décembre 2002 à Francfort dans le silence de son quarante mètres carrés, quelques jours seulement avant que la bouche édentée de la mère Noël, ne répercute dans les cheminées, les rires d'enfants qu'elle détestait.

Auteure d'une oeuvre non volumineuse -dérangeante au-delà de toute morale- cette femme sophistiquée, laisse derrière sa chair et ses os, une écriture d'orfèvre, ciselée, pointue, cruelle entraînant le lecteur vers des rives d'une sensualité macabre. Sa constance à déterrer l'inavouable des désirs enfouis relève de l'empathie implacable ainsi que d'une grande curiosité des tourments humains. Derrière le miroir.

Au décès de sa mère -à ses six ans- elle fut élevée par un père fantasque . Elle aima et séduisit des femmes dans sa vie d'adulte, sans jamais pouvoir vivre avec une, les désignant avec une « misogynie » affichée, comme mollassonnes et passives . Elle leur préféra Justus, un homosexuel Allemand avec lequel elle vécu quarante ans, qu'elle cacha pendant la guerre avant de l'épouser et de le suivre en Allemagne. Cet amour interdit lui fit perdre sa magnifique chevelure puisque qu'elle subit l'opprobre de la « tonte ».

A défaut de progéniture qui lui provoquait des allergies, elle accoucha, d'une dizaine de romans et recueils de nouvelles, dont son livre culte « le nécrophile » où l'amour physique de Lucien pour les cadavres entraîne paradoxalement leur décomposition accélérée. Une exploration des entrailles de l'âme humaine, sans concession. L'amour dépourvu de limites. Le droit aux derniers spasmes voluptueux des allongés livrés à la terre et aux lombrics.

Telle une fleur vénéneuse et rare, dont on sait que le poison s'infiltrera en nos veines, Gabrielle Wittkop a eu l'élégance et la pudeur de placer le lecteur en position de manque.

Dans cette littérature aseptisée et formatée qui s'affiche chaque année sur les étals des libraires, la prose de la Divine Wittkop, est une cicatrice béante.

Le nécrophile Gabrielle wittkop une collection dirigée et présentée par Jean-Jacques Pauvert La musardine (1998)

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