Le blog de Franca

Franca Maï la singuière | Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

jeudi 27 janvier 2005

Hubert Selby Junior: Les tours de manège du souffle de la mort

Et puis un jour, vous avez rendez-vous avec le Démon.

Au bout de quelques chapitres, vous prenez conscience de ne plus pouvoir regarder le monde avec des yeux éteints. L'autel du désespoir et des ténèbres vous épingle implacablement. La mort flirte avec vos os. Elle s'installe dans le froid glacial d'une chimérique humanité. Vous plongez dans l'urgence.

Hubert Selby Junior, l'auteur américain de ce roman maudit est un homme qui a échappé quatre fois à la faucheuse.

Né en 1928 - un an avant l'effondrement de la bourse et la Dépression prévisible résultante- il s'éteint le 26 Avril 2004 à Los Angeles, dans une modeste maison du quartier de Highland Park, bourrée de livres et de musique, répudiant convulsivement l'écran de neige pour ne pas perturber ses songes.

Dans un quasi-anonymat.

L'une des plus grandes voix de la littérature Yankee de ce siècle, l'auteur majeur surnommé « le Céline américain » idole de la culture Rock, crève seul, abandonné, oublié par ses éditeurs et compatriotes.

Dès sa naissance à Brooklyn, il est étranglé par le cordon ombilical de sa mère. Pendant 36 longues heures, il lutte. Les médecins diagnostiquent une cyanose et des dommages cérébraux provoqués par le manque d'oxygène dans le cerveau.

A peine débarqué sur terre, Selby étouffe déjà.

Bazardant ses études, il s'engage dans les Marines à l'âge de quinze ans et bourlingue au travers le monde, suivant fidèlement les traces d'un père alcoolique mais vénéré. A dix-huit ans, il contracte une tuberculose. Ce jeune homme athlétique se transforme alors en vieillard en sursis. Quatre années, cloué à un lit d'hôpital, font fondre ses quatre-vingt cinq kilos et son mètre quatre-vingt, pour laisser place à un spectre au corps dépossédé d'un poumon et de dix côtes. Souffle coupé.

Rendu à moitié sourd et aveugle par les débuts hasardeux de la streptomycine, Selby appréhende le monde, en apnée versatile.

Soutenu par son ami, Gilbert Sorrentino, qui le guide dans le chemin initiatique qu'est la lecture, il découvre Dostoïevski, Chandler, Hammett, Conrad, Shakespeare etc...

Dérivant dans les eaux troubles de l'alcool, la drogue et la dépression, à 28 ans il est condamné à mourir définitivement, mais lors de cette expérience qu'il qualifie d'ultime, il s'achète une machine à écrire. Il connaît les lettres de l'alphabet. Il sera écrivain.

Il commence l'écriture -en 1959- de son premier roman « Last exit to Brooklyn » qu'il mettra six années à accoucher. Un recueil de six histoires noires et sans espoir. La lente autodestruction de personnages plongés dans un univers terrorisant.

2 millions d'exemplaires vendus. Ce roman-culte fouette l'Amérique puritaine, en pleine face, la laissant sonnée sur le macadam. Sans respiration.

« Last exit to Brooklyn » fait l'objet d'un procès pour obscénité en Angleterre et se retrouve banni en Italie.

L'Amérique aseptisée a la dent vengeresse et la main longue.

Les trois autres romans qui suivront « La Geôle »(1972) « Le démon » (1976) et « Retour à Brooklyn -Requiem for a dream (1978) » seront des échecs. La presse américaine, en bonne fille obéissante, ira jusqu'à utiliser le terme « sordidisme » pour illustrer l'oeuvre de Selby.

Mettant en scène un personnage récurrent, Harry, Selby souligne avec obsession - au rythme d'un phrasé épileptique cerclé de poésie hallucinée- l'hypocrisie d'une société qui mène une guerre contre la drogue en abrutissant son peuple de drogues légales et médicamenteuses.

Tous ses romans témoignent de sa vision quasi mystique du Mal, tout en injuriant copieusement un Dieu conflictuel. La faillite d'un monde déshumanisé.

Selby ose désacraliser le rêve Américain. Il le paie chèrement. Il est marginalisé.

Rayé dès lors, des maisons d'édition, il sombre dans la misère pendant plus de quinze ans, ne devant son salut qu'à sa maigre pension militaire d'invalidité.

En 1999, le succès de son conte de Noël destroy « Le saule » en Angleterre et en France et l'adaptation cinématographique de « Retour à Brooklyn » Requiem for a dream de Darren Aronofsky , offrent une nouvelle respiration à Selby.

Il a été marié trois fois et a eu quatre enfants.

Il s'est enfui du monde un matin gris peau de souris, toujours en quête de l'air qui lui manquait cruellement. Il transbahutait une machine à oxygène pour se déplacer, jusqu'à ses derniers râles.

Hubert Selby Jr, laissait toujours une phrase inachevée pour la reprendre le lendemain. Il nous a offert de terminer la dernière, en pure bouffée d'air. Ne le décevons pas.

Violette Leduc: La laide inspirée

C'est dans un grenier - à l'âge de 13 ans, en farfouillant dans des piles de livres laissés à l'abandon et à la curiosité du destin- que vous découvrez Thérèse et Isabelle un roman de Violette Leduc.

Soudain, les champs épousant la platitude et l'ennui, s'habillent de mille lucioles crachant une flamme essentielle: l'émoi.

Vous comprenez alors que le désir n'a ni sexe, ni morale. Il est furieux. Il vit au-delà de l'entendement. Serti de frénésie aux flagrances de scandale et aux battements d'un coeur rendu fou.

La barrière éventrée de la Passion s'épingle dans chaque parcelle de votre chair. Vous volez dans les sphères de l'interdit.

Vous apprenez, quelques syncopes plus tard, en découvrant toute l'oeuvre de Violette Leduc que le roman Ravages -première version de Thérèse et Isabelle- fut censuré par la respectable maison Gallimard par crainte de poursuites pénales et vécu par l'auteure comme un « assassinat littéraire ».

Ce roman amputé, racontait les amours sulfureuses de deux collégiennes dans un pensionnat de Province. Il abordait le thème de l'homosexualité. Violette Leduc osait braver les années cinquante.

Incomprise de ses contemporains, elle fut néanmoins défendue avec élégance par Beauvoir et Genet qui la reconnut comme « sa soeur en littérature ».

Beauvoir, la cérébrale de glace et Violette Leduc l'intuitive de feu -curieuse complicité que ces deux écrivaines- en état de grâce et de partage.

Née en 1907, Violette Leduc s'échappa de l'écorce terrestre en 1972.

Témoin et actrice de l'évolution de la condition féminine sans toutefois s'impliquer dans la lutte des femmes, elle ouvrit néanmoins par son oeuvre dense -d'une authentique sincérité- la voie royale à une nouvelle écriture. Elle osa passer derrière le miroir avec rage et fourmillement.

L'évolution des mentalités venait de planter ses racines, implacablement.

Très laide et dotée d'un caractère réputé impulsif par ses sautes d'humeur, cette femme d'une sensibilité exacerbée, connue la souffrance d'être née bâtarde.

Sa mère fille-mère et domestique d'une famille aisée fut renvoyée sur le champ lorsque cette dernière prit connaissance de la maternité illégitime.

Deux hommes marquèrent Violette Leduc dans sa vie d'adulte, Maurice Sachs et Jacques Guérin, représentant les doubles du père inconnu.

Les Editions Gallimard ont publié en l'an 2000, dans sa version intégrale, le roman Thérèse et Isabelle.

Violette Leduc sous terre, depuis déjà 28 ans et bouffée par les lombrics, n'a donc pas connu l'émotion de toucher son recueil abouti, vivante.

Mais lorsque je lui ai glissé le livre dans sa tombe. Elle a souri. Puisque je vous le confie !....

Le bruit cristallin d'un talon aiguille sur le macadam

Emballé, c'est pesé...

L'agonie de la truie qui couine en une litanie perçante ne percute que le plat de l'assiette vide. On oublie la douleur de la bête pour se remplir la panse. Plaisir immédiat.

Comment l'animal a-t-il été tué ? ... Noyé dans de l'eau bouillante, tabassé au gourdin, électrocuté en masse, asphyxié dans des camions surpeuplés ? ...

Tout comme certains hommes musardent dans les faubourgs peu éclairés de la ville à la recherche de sexe monnayé, combien se posent la question de savoir comment les frangines de sang atterrissent sur le trottoir et dans quelles conditions. Ils se contentent de payer un service. Un billet contre de la chair fraîche. Puis ils rentrent chez eux, vidés de leur sève embrasser leur femme et enfants. Plaisir immédiat.

Qu'en face d'eux, se présente une jeune fille nubile à peine sortie de l'adolescence ne leur pose aucun problème métaphysique. Après tout, n'a-t-elle pas choisi ce métier et ne contribuent-ils pas par leur geste « altruiste » à l'obole de la misère humaine ? ... L'hypocrisie des consommateurs à la libido peu créative.

Sachant que la Loi du 18 mars 2003 est de mettre fin aux troubles causés à l'ordre public et de lutter contre le racolage, les activités parallèles des proxénètes se sont multipliées dépassant les frontières du visible et de l'entendement pour nager dans les sphères fangeuses et abruptes des réseaux organisés. Les plus barbares.

Des chemins de traverse baptisés Enfer, où des femmes pesées et soupesées comme du bétail, n'ont que le choix de se taire par crainte de représailles. Ne pas subir la mort anticipée, comme les truies assassinées salement.

Peut-on parler de choix, lorsque l'on constate que la plupart des filles venant d'ici et d'ailleurs, sont kidnappées, violées, droguées puis lâchées dans des campements clandestins ou des studios de fortune, muselées et encagées par des maîtres-gigolos ?

Le démantèlement des réseaux n'est pas à l'ordre du jour et ne le sera jamais. Il engendre une économie juteuse que les trafiquants et les corrupteurs ne sont pas prêts à sacrifier mais les PV, les humiliations, les coups-bas pour les travailleuses du macadam pleuvent régulièrement, les empêchant de boucler leur fin de mois et de régler la cantine de leurs enfants. La société les maintenant dans une précarité sociale et sanitaire signifiée.

Alors que la Belgique, les Pays-bas ou l'Allemagne réglementent et reconnaissent la prostitution comme une activité légale, la France flirte avec la tolérance et l'intolérance cadrées, dépendant d'un arbitraire policier.

Avant l'avènement du patriarcat, la prostitution était sacralisée, élevée au rang de profession honorable. Les péripatéticiennes étaient des prêtresses de l'amour. Dès que la société a cessé d'être matriarcale et paganiste, la femme a été décrétée impure et source de persécution.

Le plaisir du pubis qui chante est devenu synonyme de chair à broyer.

Légaliser la prostitution est certainement la seule échappée oxygénante pour protéger l'exploitation des filles de sexe minute.

La bombe à parasites se doit d'être puissante et sans concession pour éliminer les cancrelats mercantiles de la chair.

Après tout une femme peut disposer de son corps comme elle l'entend, à partir du moment où ce choix ne lui est pas imposé.

Et puis une capitale illuminée de lucioles de nuit, est moins triste qu'un dortoir-musée fantomatique. Le bruit cristallin d'un talon sur le macadam tient en haleine l'insomniaque dans le monde des chimères.

N'en déplaise à ceux qui s'insurgent à l'air libre mais qui consomment en catimini. Bardés de loi mal pensées et sans capote.