Le blog de Franca

Franca Maï la singuière | Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

vendredi 28 janvier 2005

SPEEDY MATA selon Le Monde des livres LE MONDE du Vendredi 28 Janvier 2004

Photo: Philippe Matsas agence opale

Parce-que « le monde dans sa superbe marche sur les SDF en s'habituant aux borborygmes de leurs ossements » Mata préfère « partager les feux follets engendrés » plutôt que de « gagner de la thune pour engranger et (se) payer des baraques ». C'est dire qu'il faut s'accoutumer au langage de Mata qui adore sa mère, se prostitue pour éviter l'huissier, tue « un gus... comme on bute un soleil noir qui dissimule la clarté », traîne ses 16 ans dans sa triste banlieue. N'étant un peu trop de métaphores et quelques banalités sur le matérialisme, ce roman accroche. Pour traduire les sentiments des adolescents qui veulent comme se désengluer du présent, Franca Maï a des qualités d'écriture évidents qu'on attend dans un roman plus dense, plus nourri. P.R.L

Speedy Mata Franca Maï Cherche-Midi Editeur

lundi 24 janvier 2005

Speedy Mata selon Betty Trouillet Librairie les 3 épis/ Carcassonne

Les livres lus et conseillés par les libraires PAGE N°94 Janvier 2005

Franca Maï Speedy Mata Le Cherche-Midi Photographiée par Philippe Matsas Agence opale

Ce court roman commence par un acte de vengeance. Mata, bouleversée par la mort de sa mère qui s'est défenestrée après avoir été licenciée, va tuer pour se venger de ce triste sort. Avec ivresse et désespoir, l'adolescente nous entraîne dans sa folie meurtrière. Retour en arrière: Mata et sa mère vivent seules dans un quartier ouvrier, le père les a quittées. Alors la mère assume tout, et se sacrifie pour que Mata aille dans une école de nantis où elle côtoie la fine fleur de la société. C'est une élève douée, sensible et intelligente, mais une adolescente fougueuse et rebelle. Elle est admirée de tous, mais cache aux autres son milieu social. La vie coule tranquille et heureuse, jusqu'au jour où l'usine Coutinex se délocalise et licencie. Mata apprend par hasard que sa mère n'a plus de travail. Il n'y a pas de mots pour répondre à l'injustice de cette société.

Après « Momo qui kills », Franca Maï nous émeut et nous déroute avec ce nouveau roman au phrasé doux et violent. Un petit texte fort et intense qui m'a laissée sans voix.

Betty Trouillet Lib, Les 3 Epis, Carcassonne.

mercredi 19 janvier 2005

Franca Maï le spectacle de la cruauté Notes de lecture de Marc Alpozzo

Si l'on en croit son éditeur, Franca Maï aurait une voix « proche du blues ». Cette très célèbre forme musicale que l'on doit aux noirs d'Amérique, et qui caractérise d'une part une formule harmonique constante, un rythme lent à quatre temps, d'autre part, le cafard et la mélancolie.

La voix de Franca Maï est une voix cassée : cassée par la violence des comportements sociaux, la barbarie de nos sociétés modernes, cassée par cet idéal humaniste qui ne semble jamais pouvoir se réaliser dans le monde des hommes. La voix de Franca Maï est une voix qui fait de l'apnée en milieu brutal.

Depuis 2002, Franca Maï nous a offert déjà trois romans : un roman par année. Des romans courts. D'une rapidité incroyable.

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samedi 15 janvier 2005

Célérité meurtrière Une analyse de Marc Alpozzo

Certains romans sont écrits pour dénoncer les petits mécanismes pervers qui nous rendent dépendants d’un système tyrannique, et lutter contre l’inhumanité ambiante qui nous éloigne sans cesse de notre bonheur.

Voici le troisième roman d’une auteure qui, par les sujets, et par un style littéraire tranché dans le vif, ne peut pas laisser indifférent. Son premier roman avait pour personnage principal, un violeur. Le second, un jeune garçon enrôlé dans la guerre d’Indochine et une mère prostituée et toxico. Pour son troisième opus, elle n’a pas abandonné les situations sordides de notre société contemporaine. Elle n’a pas non plus abandonné ces personnages aux petites vies, mais dont le destin tragique en font des personnalités fortes, presque inoubliables. Mata est une de celles-là. Jeune fille de seize printemps, elle vit toute seule avec sa mère dans une HLM, tandis que son père, parti lorsqu'elle avait cinq ans, ne les aide plus, se contentant d’envoyer une simple « carte postale sans adresse d’expéditeur, une fois par an ». Elle voit sa mère travailler « à l’usine du coin, baptisée Coutinex la dévoreuse », et elle sait parfaitement, même si la maman le cache, qu’un plan de licenciement la guette. Mata voudrait aider sa mère. Elle n’aime pas la voir ainsi souffrir. Seulement, voilà : sa mère, une femme qui ne geint pas, qui ne se révolte pas, et qui réserve « toute sa tendresse et sa disponibilité » à sa fille Mata, « malgré la sueur, la fatigue et la répétition des gestes », veut qu’elle aille à l’école, et y travaille comme il faut. Parce qu’elle veut voir sa Mata s’en sortir plus tard, l’emporter sur son propre sort, à elle, cette « petite ouvrière de rien du tout (qui) a engendré une bombe d’intelligence ». Certes, Mata promet d’être obéissante, mais la rage de vaincre, et le sentiment d’injustice la font pourtant dériver vers des sentiers aux pentes très abruptes. Jeune éros sublime, qui contredit l’adage populaire : « sois belle et tais toi », cette bombe sensuelle et sexuelle est bien dotée d’une cervelle qui marche au quart de tour, d’une maturité déjà très en avance pour son âge, et d’une réelle intention de ne pas se taire.

Seize ans et la rage de vaincre

Mata, qui donne son nom au roman, n’est donc pas cette jeune nymphe de seize ans, proie, semble-t-il, facile, si l’on en croit les garçons qui lui tournent autour. Entière, farouche, elle a déjà le sens de la répartie, un esprit critique et cinglant, et une lucidité sans failles sur la violence de notre système : une système sans pitié, sans complaisance avec les faibles, les sans grade, ceux qui triment à l’usine, qui croupissent dans des cités dortoirs, et qui, un beau jour, se retrouvent jetés dehors comme des pions : « Quand un porc licencie et met des milliers de travailleurs dans la rue, ce n’est pas violent !... Il garde les mains propres. Les suicides à la chaîne, les anti-dépresseurs ou la fuite dans l’alcool, ce n’est plus son problème… Il a fermé l’usine, il s’en lave les mains… » Cette acuité à saisir les comportements complices des grands groupes, des patrons, fait de Mata une héroïne qui sait, contre vents et marées, ce qu’elle veut : elle ne veut pas mourir…

Rendre justice aux plus démunis

Alors Mata se rebelle : contre l’usine, la pauvreté, puis les plans de licenciements abusifs. Et contre cette fatalité qui va bientôt s’abattre sur sa mère. Alors, parce qu’il lui semble qu’elle n’a pas le choix, elle choisit : ce sera les armes : « L’état de nécessité, ça percute tes oreilles !... Tu as conscience que le monde dans sa superbe marche sur les SDF, en s’habituant aux borborygmes de leurs ossements. Ça dégage du bon engrais, la saleté humaine !... Je ne vois qu’une seule issue : la violence. » L’injustice, les différences sociales, les coups bas qui accablent les gens de sa condition, Mata entend s’en charger : prendre les armes, et venger sa mère, qu’une poignée d’hommes, d’entrepreneurs retors et menteurs vont finir par spolier.

Rapide et efficace

La trame de ce roman est volontairement minimaliste, plus un prétexte pour Franca Maï de dénoncer un système déshumanisant, et de dresser le portrait d’une jeune fille rebelle, rêveuse, qui pense encore que par les armes on pourra se battre pour un monde meilleur. Où se niche les utopies aujourd’hui ? Sommes-nous encore maîtres de nos destinées, aptes à vouloir un monde meilleur ? Franca Maï par ce roman semble se poser des questions d’ordre métaphysiques, aujourd’hui oubliées dans l’enfer du tout-économique, explorant les thèmes du licenciement, de la condition féminine dans la cité, d'une civilisation de plus en plus violente avec les bas salaires, et les sans-grade. Bref, un roman qui réveillera sûrement quelques consciences endormies. Mata est un personnage radical, sans rémission et sans compromission. Un pur « produit » engendré par la violence et l’agressivité de nos sociétés contemporaines, sociétés dortoirs, ou la plus grande partie des individus sont des ombres réduites au silence. Et Mata, en réaction contre cette infamie anti-démocratique a le sens de la révolte. Le final est bouleversant. Un roman écrit avec un style soigné, et sans fards.

Speedy Mata, Franca Maï, Le Cherche Midi éditeur, décembre 2004, 110 pages, 10 euros

vendredi 14 janvier 2005

LA GAZETTE DU NORD Jeudi 6 janvier 2005

Mère et fille

Franca maï- Speedy Mata (éditions du Cherche Midi -104 pages)

Critique de Vincent Vantinghem

Après des débuts fracassants en 2002 avec Momo qui kills (Au Cherche-Midi), Franca Maï nous revient avec une hargne inchangée(voir ci-dessous). D'une noirceur extrême, Speedy Mata, s'affiche comme la lente descente aux enfers d'une adolescente perdue dans un monde qui tourne à l'envers. Si d'aucuns s'imaginent trouver l'histoire sans cesse renouvelée de l'éternelle ado paumée, droguée en proie à d'éternels doutes, ils se trompent. Car Mata, l'héroïne, est bien plus qu'une jeune fille de 16 ans perdue dans une cité sans lendemain. A l'heure où les jeunes de son âge découvrent les premières amours, elle se bat pour survivre avec sa mère. Le roman s'ouvre d'ailleurs sur cet amour charnel presque viscéral que se vouent ces deux êtres. Entre non-dits et faux-semblants, les deux femmes cherchent la sortie d'un tunnel sans fin. Le boulot minable dans une usine de la mère leur permet de vivre, les résultats probants au lycée de la fille d'espérer. Mais voilà qu'un beau jour le tunnel s'obscurcit encore un peu plus. L'usine ferme. La mère se retrouve sur le carreau. Et la fille ne voit d'autres solutions que de prendre l'argent là où elle le trouve... Si elle ne perd pas la conviction de renouer avec un semblant d'existence, la mère a cessé d'y croire. Et l'issue n'en sera que plus fatale ! Avec une violence exacerbée au possible, Franca Maï nous offre ici une véritable leçon de sincérité bâtie sur le paradoxe. Alors que la haine décuplée au fil des pages nous rappelle par moments les meilleurs passages de Virginie Despentes, son phrasé doux, presque poétique, nous laisse véritablement sans voix.

jeudi 6 janvier 2005

SPEEDY MATA

Une critique de Séverine Capeille sur sistoeurs.net bellaciao.org e-torpedo.net etc...

Elle. Il n’y a qu’elle dans la vie de Mata. Une mère qui remplit l’univers, comme un soleil qui chauffe, réchauffe toujours plus fort, et ne brûle pas. La mère dans le désert, un « roc » que rien ne peut casser, un oiseau dans la tempête, un refuge solitaire où les rêves se mélangent au sable et à la pureté. Une mère dans une HLM de cité. Seule. Le père s’est tiré. Il y a « elle » et Mata. La mère et la fille, la fille-mère et la mère-fille. La féminité. L’amour inconditionnel, l’amour à mort, l’amour au milieu des absences et des tombes alignées.

Speedy Mata se lit à travers des silences. Ceux qui précèdent les sommeils où les beautés se révèlent, où les questions s’effacent dans l’inconscient. Il y a le silence asphyxiant, le silence primaire qui entoure le nom du père, indifférent. Le silence des symboliques qui s’éparpillent au vent. Le silence sur le nom de la mère, qui a oublié d’être femme, qui donne, porte et emporte la vie, qui est la « maman » jusque dans l’infini de l’âme. Et tous les silences de la nuit. Le silence des cris étouffés, des sommeils éternels... Le silence des licenciés qui montent au ciel. Le silence de la chute d’un oiseau, celui des pactes d’amour, des gris-gris de l’espoir et celui des plus beaux cadeaux... Le silence des lettres cachées, du fric que l’on donne en taisant les errances pour le trouver... Le silence qui tue, sans trace, entre les dents serrées... Ce roman se comprend dans les silences de la dignité. Ceux que le lecteur doit interpréter, lire avant que la fenêtre ne s’ouvre, avant que la mère ne se jette dans le vide pour un très long sommeil. La mère, ou toute l’humanité. C’est pareil.

Il y a trop de silence. Mata va tuer, signer la distance parmi les désassortis de la société. Elle va mordre, elle va arracher de ses dents les injustices et les vies saccagées, emballées dans les cartons des huissiers, des menteurs et des croques coeurs toujours pressés. Elle va répondre aux seaux jetés, aux larmes salées, aux bruits de pas dans l’escalier. Elle va donner la mort. Il fait si froid quand on lit Speedy Mata. Il y a la sirène des pompiers en fond sonore. Et tout va très vite. Les possibles s’asphyxient au rythme des trains que la lycéenne regarde pour voyager, au rythme de la chute libre d’une femme défenestrée. Une balle touche le lecteur.

L’injustice s’hérisse, la peau est transpercée. Mata tombe dans les hommes. Sa maman s’est suicidée. Le rêve de propreté baigne dans son sang, abandonné. Ils ont menti, ils n’ont pas tenus compte de la fatigue, de la vie sacrifiée dans l’usine. Ils ont fermé. Speedy Mata, c’est la vitesse et la tristesse des promesses piétinées. C’est un « M » écrit sur le papier. Une majuscule avant le souffle coupé : Maman. Avec un point final désespéré. Un « M » formé de deux montagnes fières, inséparables, élevées au-dessus des bassesses de la société. Une lettre écrite au scalpel, dans la fièvre et l’insomnie. Pour ne pas oublier.

Franca Maï parle de l’existence qui se glace au rythme des impayés, de la mort qui se déguise en vacances quand l’espoir a fugué. De la souffrance et de la force, dans la même proportion. Elle observe l’indifférence, la vengeance, l’humiliation... Elle répond à la question qui se dit tout bas : « Comment peut-on en arriver là ? ». Elle y répond et elle montre du doigt. La seule vraie question ne serait pas « Comment », mais bien plutôt « Pourquoi ».

Speedy Mata Franca Maï Cherche-Midi Editeur En librairie le 6 janvier 2005