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Jardin Secret de Franca Maï (2005)
Illustration MANUJI (2011)

Cher Papa,

Tu serais fier de ta fille !... J’en suis intimement convaincue. Ouais... tu serais fier de moi !...

A peine débarquée à Paris, je me suis pointée la veille de l’ouverture du salon du prêt-à-porter à la porte de Versailles. Tu me connais, j’ai toujours su me débrouiller. J’ai entendu dire que les exposants recherchaient des mannequins. Alors l’adrénaline dans le sang et accompagnée d’autres filles croisées au hasard de mon exploration, j’ai parcouru les stands un à un et j’ai tenté ma bonne étoile. Ils m’ont demandé si j’étais professionnelle. J’ai répondu évidemment par l’affirmative, ce don inné pour tromper mon monde !... mais je n’en menais quand même pas large !...

Bingo.

J’ai été choisie par des Coréens. Alors j’ai pensé très fort à toi et à ta soif de voyager sans jamais pouvoir l’assouvir, faute de moyens. Je me suis dit qu’avec ce job éphémère je tenais ta revanche.

Finalement les éclats de rêve finissent toujours par engendrer des lucioles.

Là où tu aurais vraiment halluciné, c’est le jour du défilé !... J’étais parée d’un Hanbok, tu sais ce costume traditionnel aux fibres précieuses qui aplatit les seins rigidement et fait gonfler le ventre des femmes tellement que l’on dirait des nonnes engrossées !...

Ce mélange de sévérité et de rondeur est d’un érotisme troublant et je suis certaine que ton émotion aurait été similaire à la mienne.

Mais nous sommes des êtres un peu spéciaux, n’est-ce-pas mon petit papa ?... Nos rétines ont toujours capturé des visions inaccessibles au commun des mortels. N’empêche que vêtue de ces oripeaux et chaussée de drôles de chaussures, ce n’était vraiment pas une sinécure pour ma carcasse !... Il faut assurer sur un podium drapé de velours !... Tu es obligée de défiler à petits pas. Mais quand je dis petits, je t’assure que c’est au-delà de ce que tu imagines !... Ca te file une démarche saccadée, décalée. Le public était subjugué. Un regret. Le volume de la bande-son était trop fort. A croire que les hommes derrière les commandes sont sourds pour balancer autant de décibels dans les oreilles de leurs invités. De plus, le choix des musiques sélectionnées ne m’a pas branché. Juste le chant des oiseaux ou le bruit des vagues aurait comblé la poésie de cet instant. Tout ce bruit était inutile. Mais tu sais comme je suis énervante avec mon côté perfectionniste ! ... Tu aurais très certainement partagé ce point de vue. Nous possédons la même sensibilité.

A la fin de cette exhibition comme j’avais du temps à remplir, j’en ai profité pour me promener et visiter les lieux. C’est immense là-dedans !... Un véritable paquebot, avec un niveau 1 baptisé Inspiration, un niveau 2 : Emotion, un niveau 3 : Exploration pour aiguiller les acheteurs, les journalistes, les curieux et les gens pressés dans leur parcours. Mais je me suis paumée. Le sens de l’orientation n’est pas mon fort, c’est vrai, je l’avoue !... J’’aurais vraiment aimé que tu m’accompagnes car en grand amoureux des chiffons et de la jolie sape, tu aurais été comblé !...

J’ai découvert de véritables merveilles. Des robes d’une beauté époustouflante mais aucune ne dépassait l’originalité de celle que tu m’as confectionné avec tes doigts en or pour le jour de mes vingt-ans. Je peux te préciser que la tendance était au bleu-vert aquatique et comme il faisait très chaud, cette couleur dominante inspirait réellement l’envie de plonger dans la mer. Ouais... un bon bain de minuit avec des nuages en panique et une lune facétieuse !... Mais là où tu te serais éclaté sans réserve, c’est dans le dédale des accessoires. Les sacs brodés, les ceintures, les chaussures, les matières originales et inattendues, un vrai délire !..Et ces fameuses mitaines dessinées par tes soins à la couleur quatre saisons, elles trônaient majestueusement sur une console.

Bon, c’est vrai qu’elles ne possédaient pas les griffes de félidé rétractiles que tu entrevoyais mais en les enfilant, j’ai éprouvé de la magie pure !...

Je sais mon papa d’amour que là, où tu reposes, tu ne recevras jamais cette lettre. Je comprends bien qu’enseveli sous la terre, les os bouffés par les lombrics et les cantharides carnassières, il n’y a aucune chance pour que l’on échange nos confidences, en riant comme des tarés, près de notre mare argentée. Mais à ce salon du prêt-à-porter, j’ai humé intensément l’odeur de ton jardin secret. Cette attirance incomprise et irraisonnée pour le textile qui te transformait à certaines lueurs de la nuit en une très belle femme. Et je m’en contrefous si les voisins cancanent salement depuis que tu t’es tiré une balle dans la tête. J’ai quitté ce trou à rats définitivement. Je continuerai à te parler et à t’écrire chaque jour. C’est ma façon d’apprivoiser l’insoutenable silence.

Le 5 Septembre 2005
Rue des Prés du bonheur

Nouvelle de Franca Maï parue dans le catalogue Vive la Mode
Pour la centième édition du salon du Prêt-à-porter Paris Porte de Versailles Agence Etoile rouge

-  Les lectures musicales de Franca Maï

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Franca Maï
Photographiée par QUENNEVILLE



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